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fée tout et rien, dit tout et ne dit rien
25 février 2014

College Boy d'Indochine, vu de l'autre côté (prof)

Cette chanson d'Indochine et plus particulièrement son clip vidéo a déjà fait couler beaucoup d'encre... Beaucoup le disent too much, choquant gratuitement. 
Mais est ce que Indochine et Xavier Dolan (réalisateur et scénariste du clip) en ont vraiment rajouté des caisses?
Pas si sûr... 

Je vais certes détouner un peu le propos et l'élargir. Je vais parler violence scolaire beaucoup, homophobie seulement un peu (mais j'y reviendrais largement plus tard, dans d'autres posts). Mais je vais vous parler aussi de comment nous pouvons vivre cela de l'intérieur en tant que prof.

Aujourd'hui j'ai vécu la violence scolaire, violence dénoncée par Nicola Sirkis (dans son interview au journal "Le Républicain Lorrain" en octobre 2013, à voir!) et par tant d'autres encore. Je l'ai vécu à la place du prof, à la place de la personne responsable donc... Je vais me servir dans ce post de paroles de College Boy parce qu'elles ont fait echo en moi. Elles ont résonné mais je sais que je les détourne en partie en les reprenant en mon compte et en changeant la position de "l'emetteur", j'espère que Nicola Sirkis et les membres d'Indochine ne m'en voudront pas trop mais elles me semblent quand même justes et dans un contexte (de violence scolaire) qu'eux aussi dénoncent.

Un élève qui se jette sur un autre, sans un mot, sans un préavis et lui balance ses poings à la figure à l'entrée d'une salle de cours... devant toute la classe

Journée de cours banale dans un lycée banal d'une petite ville/village de province banale, perdue au milieu de la carte de France et de ses réseaux routiers. Dernière semaine avant les vacances, élèves survoltés, fatigués, impatients... profs: pareil! 

Des élèves qui assistent à cela pour certains bouchée bée, stupeur, pas de réaction... pour d'autres détourner les yeux rien de bien choquant là dedans... pour d'autres encore, enfin un évènement qui vient briser la monotonie de ce mardi après-midi et ils comptent bien en profiter et encouragent à frapper l'un ou l'autre, c'est selon. 

J'apprends ici que ma vie ne sera pas facile
Chez les gens

Oui c'est bien à l'école que nous apprenons cela. Ça ne sera pas facile la vie, il y aura le jugement des gens. Je peux me faire frapper sans préavis et voir certains attiser mon assaillant. Ils veulent me voir à terre, avoir mal... 

J'aime pourtant tout leur beau monde
Mais leur monde ne m'aime pas, c'est comme ça

Je pourrais aimer aussi fort que je veux, ça ne suffira pas. Je peux avoir envie d'être avec eux, ça ne suffira peut être pas. Je ne pourrais rien y faire, c'est comme ça...

Et souvent j'ai de la peine quand j'entends tout ce qu'ils disent derrière moi

 

J'ai été frappé dans un lieu où je devrais être en sécurité et apprendre... Je suis la risée des autres, ils attendent que je lave mon honneur. Certains disent même que je l'ai mérité et qu'ils en feront de même.

Au milieu de ça une prof, une collègue... les séparer... essayer de s'interposer, calmer... appeler de l'aide. Voir enfin des collègues, demander à une d'appeler le CPE en urgence... oui mais CPE en réunion, surveillants injoignables... stress... danger...

Enfin une collègue prend le garçon agressé en charge, l'abrite dans son cours afin que les deux ne soient plus face à face car sinon ça repartirai au quart de tour. Toujours pas de CPE, toujours pas de surveillant...

Tu me donnes ta vie 
Et nous traverserons les ciels

Oui nous avons leurs vies entre les main... pendant une heure, 2 heures, une année... quelle responsabilité. Nous pouvons en porter jusqu'à 35 dans nos salles, en même temps. Nous devons leur faire traverser les ciels, leur montrer les ailleurs, leur donner les clés pour y aller... Nous devons veiller à leur sécurité de corps et d'esprit. C'est notre devoir et nous nous y sommes engagés, c'est notre profession de foi... leur faire traverser les ciels.

Alors ce soir je me dis que j'ai échoué... Ce jeune homme  frappé et humilié devant sa classe, son prof, son lycée tout entier qu'est ce que je lui ai offert? Tout juste l'abris inaproprié de ma salle. 
Il est entré les larmes aux yeux, trop fier pour les laisser couler, les pommettes rouges prêtes à bleuir. J'ai pu protéger son corps, mais son âme...? Les élèves dans ma salle ce n'est pas sa classe mais il les connait. De suite les questions, s'expliquer...


Je n'ai pas pu t'offrir le refuge d'un silence ou d'une parole posée à une oreille seule et bienveillante... Non je devais gérer une vingtaine d'autres, je n'ai pas été là pour toi seul alors que tu en avais besoin. 
Je pourrais me dire que tu n'es pas mon élève mais à la seconde où tu es entré dans ma salle tu l'es devenu, au même titre et avec les mêmes droits que ceux que je prends sous mon aile depuis 3 ans. Oui tu aurais du avoir toute mon attention, mon écoute et mes paroles de réconfort. Je ne te l'ai pas donné... trop occupée à calmer ma classe... Je m'en excuse, j'aurai voulu faire plus pour toi.
Ma classe parlons en ... personne ne t'a demandé si ça allait. Non... ils voulaient des détails, que tu racontes et chacun de dire comment lui aurait réagit et mis l'autre KO par terre... Ma classe dont 3 gars ont vu toute la scène et ne sont pas intervenus pour vous séparer, pas plus que ceux de ta classe soit dit au passage. Ils te regardaient...
Les filles te regardaient en coin et jasaient déjà, discuttaient entre elles de toi.

Là oui nous sommes en vie
Comme tous ceux de nos âges
Oui nous sommes le bruit
Comme des garçons en colère

Oui j'étais en colère... contre celui qui t'as sauté dessus qu'elle qu'en soit la raison je ne l'accepte pas. Contre mes élèves qui te regardaient avoir mal sans aucune compassion. Contre eux pour ne pas s'être interposé, ne pas nous avoir aidé, pire d'avoir attisé ton agresseur.
Enfin la surveillante est venue te chercher et je t'ai su à l'abri.
Alors je leur ai dit ma colère et ma déception face à leurs réactions. Je leur ai dit ce que j'attendais d'eux dans ces cas là, de se conduire en être humains, en citoyens responsables. De se conduire en Homme... que n'ai je pas dit là! l'un des garçons a cru que je mettais sa virilité en doute... Il a cru de bon ton de m'informer qu'il se faisait "sucer" et que des demoiselles ici pouvaient en témoigner. Que plusieurs fois par semaine il "baisait"... réaction violente sur ses compétences sexuelles quand il est question de ses devoirs de citoyen... Bam un autre coup pour moi. Bien sûr il fallait en rajouter devant ces demoiselles.

Alors j'ai eu College Boy dans la tête, sa violence... son homophobie dénoncée. Comment un garçon comme ça réagirait face à un(e) camarade homosexuel(le)... ça fait froid dans le dos de l'imaginer... 
Heureusement toi tu n'as pas assisté à ça, enfin à l'abri.

Double échec pour moi. Je ne t'ai pas accueilli et protégé comme je l'aurai du. L'excuse de "je n'en avais pas les moyens" ne me convainc pas. Je n'ai même pas su faire prendre conscience à ma classe de la méchanceté et de la cruauté de leur attitude...

Mon seul réconfort ce soir est de t'avoir mis à l'abris physiquement dans ma salle car ton agresseur, laissé un instant seul dans le bureau du CPE est remonté pour te frapper à nouveau dans ta salle... Je t'ai au moins protégé du second round, mais pour combien de temps?

Là oui, nous sommes le bruit 
Comme un cerf en colère
Oui, nous sommes le fruit 
Comme des filles en colère
Tu me donnes ta vie 
Et nous traverserons les ciels

 

Voilà ce que j'ai envie de te dire et qu'un autre a dit mieux que moi, même s'il ne pensait certainement pas à ce sens là pour ses paroles. Nous sommes en colère, nous sommes des filles en colère, des garçons en colère, des profs en colère...
Je suis en colère contre moi-même de ne pas avoir réussi à te protéger toi, d'avoir échoué à leur faire prendre consicence, à mes propres élèves de leur cruauté envers toi.

Plus que tout autre je voudrais te faire traverser les ciels et prendre soin de ta vie. Je voudrais te montrer les royaumes et les galaxies qu'offrent le savoir. Moi aussi je reviens de loin, je veux te montrer que c'est possible et pour cette après midi, je t'en prie pardonne moi...

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